mercredi, février 07, 2007

Images d'Epinal des pauvres

















Les images d'Epinal... ce sont les images des pauvres.



Les images en papier que l’on épingle sur les murs ou que l’on roule à l’intérieur des coffres.
…et aussi, les images des autres villes au XIXe siècle.



Au XIXe siècle, les paysans pouvaient acheter facilement quelques images en papier. Auparavant, il y avait très peu d’images dans les maisons.
Les vendeurs d’images qu’on appelait les « colporteurs » d’images se déplaçaient à pied avec leur lourde charge dans le dos. Ils s’installaient sur les places des villages ou faisaient du porte-à-porte pour vendre les images de Saints à quelques sous.
Les gens achetaient Saint Blaise pour le mettre dans l’étable.
Saint Guérin était bien dans le grenier pour protéger les récoltes.
Saint Hubert protégeait de la rage, de la fièvre et de toutes les misères.
Regarder Saint Christophe augmentait l’espérance de vie d’autant.
Les douze apôtres imprimés sur trois feuilles juxtaposées et collées étaient installés autour des bois du lit…
C’est la Sainte Vierge qui avait le plus de succès. On la priait beaucoup, on lui parlait beaucoup.
À cette époque, les gens de la campagne croyaient à ces interlocuteurs directs capables de transmettre leur demande, il y en a même qui les dessinaient eux-mêmes plutôt que de laisser leur maison sans assistance. Les images étaient roulées, bien cachées dans l’étable ou à l’intérieur d’un coffre, le principal étant qu’elles aient été là pour se protéger des menaces.
On les appelait « images de préservation. »

Au dix-huitième siècle, il peut y avoir trois ou quatre images par maison, cela fait beaucoup de papier à fabriquer, beaucoup d’images à imprimer.



Voyageons dans le temps.


Le papier est arrivé en Europe au début du XVe siècle. Au Moyen-âge on utilisait le parchemin, c’est-à-dire la peau d’animal très fine. (Si c’était du veau, on disait « vélin ».)
(Ce sont les Arabes qui nous ont fait découvrir le papier, ils ont eu la recette par les Chinois qui, eux, en connaissaient la fabrication depuis le troisième siècle : soit un millénaire avant nous.)

Au XVe siècle, le papier est devenu de moins en moins cher, on en fabriquait à Arches et à Docelles. (On dit du « vélin d’Arches », mais c’était vraiment du papier). Les moulins à papier étaient fréquents dans les Vosges. Ce fut donc assez logique que des imprimeurs s’installent aussi dans le département.

On trouve des images religieuses à partir du XVe siècle en Europe, mais elles sont encore rares.

Epinal.


C’est au XVIIIe siècle, quelques années avant la Révolution, que Jean-Charles Pellerin crée une fabrique d’images imprimées grâce à des gravures sur des planches de bois que l’on appelle la xylographie.
Il faut une grande planche de bois fruitier. Le dessinateur trace un Saint, puis le graveur, (à l’aide d’une gouge,) enlève tout le bois autour des lignes dessinées, il peut avoir du travail pour deux ou trois mois. C’est un travail très minutieux réalisé souvent l’hiver.
Par la suite, à l’aide d’un rouleau, l’imprimeur dépose de l’encre noire sur la planche taillée. Seules les lignes sur la surface de la planche se couvrent d’encre.
Avec les enfants, regardez un chou rouge coupé en deux ; une planche gravée ressemble un peu à un chou rouge coupé en deux. Avec de la gouache épaisse, on peut imprimer toutes les lignes du chou. Il est possible d’imprimer avec des pommes de terre coupées, avec des carottes coupées, on peut tailler des motifs et les répéter.

Mettez une feuille de papier sur la planche gravée et encrée (ou sous le chou coupé, appuyez sur le chou) et passez l’ensemble sous une presse. Vous allez vouloir profiter du bois gravé (ou du chou) et désirer imprimer beaucoup d’images (une de chaque par enfant) ! Malheureusement, le bois n’est pas éternel (ni le chou), il finit par s’abîmer par la pression.

Vous voilà tout de même en possession de quelques centaines d’images de Saints (ou de deux douzaines de feuilles de chou) à vendre au porte-à-porte à moins de quatre sous le Saint (et à un euro le chou).


Fin du XVIIIe, c’est le début de la dynastie des Pellerin imagiers à Epinal.
(La Révolution française éclate en 1789, Napoléon est au pouvoir de 1799 à 1815.)
Pour se situer, les Grands de l’image de cette époque sont : Goya, David, puis, Géricault (le radeau de la Méduse date de 1819), Ingres, Delacroix.
Senefelder met au point la lithographie ♣, un procédé de reproduction des images qui va marquer le déclin des autres procédés.
Mais encore, les chimistes inventent et améliorent beaucoup la photographie de 1820 à 1850.

Les paysans n’ont pas beaucoup d’argent, les images pieuses ne peuvent pas être chères ; inévitablement, ce ne sont pas les grands artistes qui les dessinent, ils demanderaient à être beaucoup payés. Ce sont donc d’honorables artisans de province qui les fabriquent.
Elles sont donc plutôt gauches, frustes, naïves, elles portent toute l’empreinte de la tradition gothique. Mais ce sont des images sincères, c’est ce qui donne aux Images d’Epinal une originalité touchante.
L’art gothique c’était au XVe !
Les Images d’Epinal religieuses sont les images des pauvres .
Les dessinateurs n’étaient pas exceptionnels, moi non plus ! Ils copiaient les belles images qu’ils voyaient dans les grandes villes et il semble que les campagnards s’en contentaient, ils aimaient leur gaucherie et leurs couleurs vives déposées au pochoir ♥!
De toute manière le peuple ne peut pas avoir accès fréquemment aux belles images peintes à l’huile, elles sont dans les belles églises et les images gravées à l’eau-forte ♠ sont dans les demeures de l’aristocratie puis, au XIXe, dans celle de la grande bourgeoisie!

À la Révolution, la religion est bafouée.
Jean-Charles Pèlerin en bon commerçant sent le vent tourner, il arrête d’imprimer les images saintes quelques années puis, il emprunte à l’eau-forte l’idée de graver sur bois des soldats de l’armée napoléonienne, c’est un véritable succès qui va durer quelques décennies.
Pourquoi ce succès ? Les soldats et les familles des enfants de la patrie n’ont pas les moyens de se faire peintre en uniforme par les grands peintres habiles qui demandent très cher. Les familles aimeraient avoir le portrait de leur fils qui part pour sept ans dans l’armée ; une image imprimée et en couleur à bas prix fera l’affaire. Les habits sont très colorés, les détails des costumes sont respectés; c’est donc la réalité du régiment plus que la ressemblance individuelle qui est préférée. Le soldat achète son image et il l’envoie, il est entouré de la cantinière, du tambour et du sergent. C’était sans doute impressionnant pour toute la famille qui rêvait de leur enfant.
Somme toute, c ‘étaient de véritables images de propagande !
De la publicité pour le métier des armes.
Les jeunes bourgeois voyaient ces images d’un bon œil, elles réussissaient à inciter les jeunes hommes du bas peuple à revêtir l’uniforme, ainsi le bourgeois pouvait revendre facilement la malchance d’avoir été tiré au sort pour effectuer un service militaire de 7ans !

Après avoir été religieuses puis militaires, à la fin du XIXe siècle, les images vont devenir morales, anecdotiques, historiques, légendaires, décoratives, divertissantes pour enfants.



Jean- Charles Pellerin eut l’idée de diviser en compartiments la feuille d’image, le texte est placé dessous, il prend de l’importance, il devient indispensable.
On peut trouver quelques grandes signatures de l’époque notamment Caran d’Ache, mais je n’ai pas trouvé Benjamin Rabier, le plus grand dessinateur de l’époque celui de «La-vache-qui-rit »
À cette époque c’est une machine à vapeur qui entraîne les presses cylindriques qui ont remplacé les presses à pression verticale dites presse Gutenberg. Les rouleaux d’encre et d’imprimerie font les allers et retours sur les lourdes pierres de calcaire lithographique.
150 ouvriers travaillent dans cette fabrique.
En 1870, la France était belliqueuse et la clientèle avide de scènes patriotiques. Pinot bon dessinateur dessinera presque tous les soldats de la Troisième République, les conditions de vente sont exceptionnelles à cette époque.
Quand les troupes allemandes envahirent Epinal, ils achetèrent des images d’Epinal surtout les très grandes en deux morceaux qui reconstituaient le corps du militaire français debout: ils s’en servaient comme cible pour s’entraîner au tir.
En 1918, c’est la fin des haricots de l’imagerie Pèlerin à Epinal.
Subséquemment et partout, pour les enfants, les soldats de plomb remplacent les ribambelles de conscrits en papier à découper des imagiers.
Après la Seconde Hécatombe Mondiale, les matières plastiques remplacent le plomb dans l’aile, on peut acheter des bataillons entiers sous cellophane.
Aujourd’hui, l’enfant, deus ex machina, est acteur de ses batailles avec un joystick ergonomique.

♥ Le pochoir :

Colorier au pochoir consiste à faire le découpage dans un carton, d’un vêtement par exemple, pour y déposer de la peinture bleue rapidement et sans déborder. Les couleurs utilisées se réduisent à quatre ; le rouge, le jaune, le bleu et le brun. Quelques couleurs supplémentaires apparaissaient par superposition. Le coloriage au pochoir avait autant d’importance que la gravure elle-même. Les couleurs enchantaient, réjouissaient, fascinaient la clientèle populaire (peut-être bien autant qu’aujourd’hui les émissions de télévision clinquantes et trébuchantes…)

♠ La gravure

à l’eau-forte est un procédé qui permet plus de finesse que la gravure sur bois. L’eau-forte, c’est de l’acide qui creuse le métal là où le dessinateur enlève facilement avec son fin outil un vernis protecteur. La plaque est plongée dans un bain d’acide.
L’encre grasse est déposée dans les creux de la plaque, puis l’encre est récupérée sur le papier grâce à une forte presse. C’est fastidieux !
C’est l’aristocratie qui peut s’acheter les eaux-fortes et les peintures, pas le peuple.
Le plus grand dessinateur illustrateur graveur du XIXe c’est Gustave Doré ; il faisait graver et imprimer ces dessins par d’autres.

♣ La lithographie :

Vers le milieu du XIXe siècle, l’imprimerie Pellerin abandonna les planches de bois gravées, cette technique était devenue trop lente et dépassée par cette nouvelle grande invention qu’est la lithographie.
C’est un procédé qui permet de tirer les images beaucoup plus vite que la gravure sur bois, et, il est possible d’obtenir autant de finesse qu’avec le procédé de la gravure à l’eau-forte, bien trop lent pour tout le monde.
La lithographie est un système basé sur le principe de la répulsion de l’eau et de l’encre grasse.
Daumier a réalisé d’excellentes lithos pour ridiculiser les hommes de lois.

 Andy Warhol disait en 1968

« ce qu’il y a de formidable dans ce pays, c’est que l’Amérique a réussi à ce que les plus pauvres achètent la même chose que les plus riches. Tout le monde peut regarder la télé et voir la pub de Coca Cola, et tout le monde peut savoir que le président boit du Coca, tout le monde boit du Coca au même prix ; celui du clochard au coin de la rue n’est pas meilleur que celui de Liz Taylor. »
Pourquoi cette remarque ?
C’est parce qu‘au XIXe siècle il n’en va pas de même, tout le monde ne regarde pas les mêmes images ; les pauvres ont leurs images, les riches ont les leurs.
Les choses changent.






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