mercredi, octobre 31, 2007

Musclor 1 & Vénus 1.














La sculpture typ’top de l’Homme modèle et de la Vénus de rêve.


Conversations entendues lors de différentes expo’, transcrites ci-dessous.

Première conversation.


- Quelle belle femme en bronze ! on dirait un moulage tant elle ressemble à une vraie!
- Elle semble bien fidèle au modèle !
- Alors, pourquoi ne pas la faire d’après moulage ? Pourquoi se casser la nénette à la modeler ou à la tailler dans le marbre ?
- Ce n’est pas pareil, le sculpteur l’a réalisée exactement comme s’il l’avait moulée, mais sans l’aide d’un moule. Son œil et sa main sont aussi forts qu’une machine à mouler.
- C’est nul de faire à la main ce qu’un moule peut faire.

- C’est cocasse, tu soutiens l’idée inverse de celle d’Andy Wharhol; « Je voudrais être une machine.» disait-il. Il voulait être une machine à peindre des Liz Taylor en sérigraphie. Je pense qu’il aurait aimé être une machine à sculpter des Liz ou des Marylin.
- Au Salon des Arts, Rodin fut soupçonné de moulage lorsqu’il présenta « l’âge d’airain ». C’est un jeune homme gracieux en bronze, il est de la taille de son modèle. Mouler se faisait, mais ça faisait mauvais genre, ça diminuait forcément l’aura de l’artiste.
- Et pourtant ! ce qui compte, n’est-ce pas plus, le choix du sujet, le choix de l’attitude de la personne sculptée, le choix de son expression plutôt que l’exactitude du modèle?
- Bien sûr, c’est comme au théâtre.
- Comme au théâtre ?

- Oui, le même rôle peut être joué et mis en scène par des artistes différents. Le résultat expressif dépendra des qualités de plusieurs personnes ; de l’acteur, de l’écrivain, du metteur en scène, de l’éclairagiste, etc. Je ne parle que des expressions du corps et du visage.
- Oui, c’est vrai, Harpagon a été joué par différents comédiens.
- Vexé, Rodin ne présenta par la suite que des personnages plus grands d’un tiers que la réalité de son modèle. De plus, il laissa les traces inachevées sur son argile. Son affaire de moulage s’est arrangée d’elle-même.
- Je retiens que, suivant l’époque, l’artiste aime le moulage et à d’autres moments non; Warhol, Duane Hanson, oui. Rodin, Canova, non.
- Le public, lui, suit-il toujours conjointement les envies des artistes ?
- Si, mais avec plus ou moins de retard.
- Peut-être cette discussion se résume-t-elle ainsi ; à certains moments de l’histoire de l’art du monde, le public et l’artiste valorisent le travail plus que les qualités expressives de la sculpture, c’est quelques fois le contraire. Mais aussi, le plus souvent, l’expression et le savoir-faire peuvent compter pour autant.




Conversation d’expo’ transcrite.

Deuxième.

- Tu connais Galatée ?
- « Il me considérait comme descendue du ciel. » rapporte Dina Vierny modèle à 15 ans, en parlant de Maillol 73 ans.

- Dina était la Galatée de Maillol ?
- Non !
- Tu connais Pygmalion ?
- Oui, c’est un sculpteur grec qui détestait les femmes. Cependant, il se pâma devant sa sculpture tant elle était belle et réussie, puis il réussit à l’épouser. Il s’appliquait, il la lissait.
- Il ne se pressait pas de la finir !
- C’est Aphrodite qui l’a rendue vivante pour faire plaisir à Pygmalion qui la soûlait de ses demandes régulières.
- Il a appelé sa sculpture Galatée.
- Beaucoup d’artistes aimeraient pouvoir épouser leur sculpture !
- Tu me fais penser à Degas et à sa jeune danseuse arrogante en tutu.
- L’épouser?
- À condition qu’elle soit réussie. Le hic, c’est que peu d’individus ont le niveau de Degas.

- Personne n’épouserait une sculpture ratée à la plastique disgracieuse.
- Imagine que l’on dise aux jeunes gens; « Sculpte la fille de tes rêves et c’est celle-ci qui t’apparaîtra le jour et la nuit de tes noces! »
- Certains se sauveraient en courant et ne modèleraient plus jamais de l’argile
- Moi j’en connais qui s’appliqueraient.
- J’ai pris l’exemple de la jeune fille, mais il en serait de même pour le Musclor de ses rêves.



Conversation d’expo’.
Troisième transcription.


- Les Égyptiens nommaient quelques fois le sculpteur « celui-qui-garde-vivant. »
- Je dirai plutôt, celui qui aimerait rendre vivant.
- Il faudrait s’entraîner dans les écoles d’art avec de grands maîtres. Il ne suffit pas de s’appliquer pour réussir la belle représentation d’un être humain.
-Il y a des perfectionnistes qui ont recours à d’autres matières que l’argile ou le marbre !
- Le latex, la résine synthétique?
- Oui, on peut acheter une femme par correspondance dans des matières qui donnent la texture de la vraie peau, mais bof, on est loin du réalisme.
- Non, pas de latex, je pense à de la vraie chair. Sculpter avec de la chair humaine.
- De la vraie chair ? Ta plaisanterie est de mauvais goût. Restons en sculpture artistique.
- Non ! Examine le cas du Comte de Frankenstein qui ne fait que rassembler des morceaux de chairs mortes. Il laisse voir les raccords. La créature qu’il réalise est laide, repoussante, elle va s’en rendre compte et c’est le début de la catastrophe puisque cette créature mâle ne réussira pas sur cette terre à aimer une femme née du ventre de la mère. Subséquemment, il demandera désespérément à son créateur, le comte de Frankenstein de lui fabriquer une femme à son image, faite de lambeaux de chair.

- Heureusement le Comte ne va pas faire deux fois la même balourdise avec de la récup’ de cimetière. Cette fois il imagine les conséquences ; la copulation puis, la reproduction. Ce refus sonnera le glas de ses ennuis. À lire.
- En fait, je me demande si lorsque qu’une femme attend son bébé, elle n’est pas dans la même angoisse que celle du sculpteur qui doit s’appliquer. Pas le droit de fumer, bonne alimentation, pas de voiture.
- N’exagère pas, ce n’est pas comparable ! Il n’y a pas de point commun entre la chair et ces autres matières ; le bois, le marbre, le bronze et le latex.,







Conversation de Salon.

Quatrième transcription.

- Les gens aiment bien que le bois et la pierre sculptés ressemblent bien à quelqu’un.
- Oui, on reproche à Pline de ne s’occuper que de cela et de ne pas s’occuper de l’émotion des personnages.
- Pline l’Ancien c’est un historien romain ?
- Il a écrit une histoire de la sculpture grecque en ne se préoccupant que du niveau de réalisme atteint par les sculpteurs; hiératisme, raideur, membres qui se décollent plus ou moins du corps, puis muscles plus ou moins bien placés, et enfin apparition des veines et du mouvement.
- Il raconte la période des Kouros et des Korés (VIIIe av J.C) jusqu’au Discobole de Myron (IIIe av J.C.)
- Oui, et c’est vrai qu’il y a eu des progrès spectaculaires au cours de ces quatre siècles, cela va du hiératisme au déhanchement.
- Oui, au début le Kouros est rigide et puis le discobole s’anime.



- Les sculpteurs modeleurs des siècles précédents ne cherchent-ils pas tous la ressemblance jusqu’au trompe l’œil ?
- Si presque tous.
- Pourtant, ça énerve Rodin de faire la chair lisse comme de la savonnette.
- C’est pour cela qu’il laisse les boulettes d’argile à peine écrasées.
- Oui, comme les Impressionnistes qui laissent leurs touches grossières.
- Il y a des artistes qui fuient la ressemblance ?
- Oui, Picasso et Matisse. Eux, ils sont contents quand on ne reconnaît plus le sujet qui pourrait être placé à côté. Matisse cherche à épurer, c’est-à-dire à supprimer le moindre muscle. Il en arrive à une femme taillée sommairement à la hache dans un arbre, c’est pourtant de l’argile qu’il manipule.
- Les sculpteurs africains et océaniens se sont toujours contre fichus du réalisme.
- C’est bien cela qui a séduit les artistes du début du siècle.
- Qu’entends-tu par « cela » ?
- Je veux parler de l’aspect frustre, épuré et dissonant du corps humain dans la statuaire « primitive », heu, je veux dire « première. »

- C’est vrai que tailler une femme svelte dans un morceau de bois est plutôt surprenant.
- Et que cette belle femme serve de cuillère est encore plus insolite pour un sculpteur européen.

- Depuis cette prise de conscience de la qualité de la statuaire des autres civilisations, les sculpteurs européens se sont-ils détournés du réalisme ?
- Oui, disons qu’après Maillol et ses femmes bien en chair que l’on voit aux jardins des Tuileries, il n’y aura plus personne pour faire du vrai.
- Pas vraiment, par la suite, il y a eu Henry Moore.
- Oui mais ses femmes donnent l’impression d’être en savon bien usé et troué après une vingtaine de douches.
- Il y a aussi Botero et Niki de Saint Phalle avec ses nanas dans les années 1970. Elle a donné toute son énergie à arrondir et à mettre en couleur les femmes. Ses Nanas n’ont aucun détail et font penser aux femmes préhistoriques sculptées que l’on appelle Vénus.
- Ces vénus callipyges sont encore plus grosses que les Nanas aux gros seins de Niki !
- Oui, ce n’est pas sans raison, elles symbolisaient la fécondité. Elles ne représentent pas une femme en particulier, mais la femme qui doit avoir des enfants dans de bonnes conditions, il en va de la survie du clan.
- Et pour Niki de Saint Phalle, cela a la même signification ?
- Oui, on est en plein dans le féminisme…l’avortement va être légalisé…
- On est loin de la sculpture pour décorer son salon. Cette idée de décoration n’a peut-être jamais existé.
- Tu crois ?
- On ne sculpte jamais pour rien, on ne sculpte pas sans intention ; représenter un être humain doit vouloir dire quelque chose.
- Mais moi, si je modèle une femme, je n’ai rien à dire sur le sujet, j’ai déjà une belle femme et deux beaux enfants en bonne santé, je n’ai pas envie de statuette fétiche et votive pour conjurer le sort ou le destin.
- Ça n’a pas toujours été si facile d’avoir des enfants. Recule de quelques millénaires. La plupart des statuettes Jomon au Japon étaient cassées sur le site pour une raison que l’on ignore mais qui a vraisemblablement un rapport avec la fertilité ou les accidents de couches, la mort de la mère, la césarienne.
- C’est vrai qu’aujourd’hui on sait pourquoi un enfant naît et par quoi et même comment.
- Personne aujourd’hui n’aurait l’idée de faire un bébé d’argile pour favoriser ou conjurer l’humeur des dieux à décider de la vie de l’enfant.
- Oui, parce que tout se passe bien la plupart du temps.











vendredi, octobre 19, 2007

Klee/l'Homme labyrinthe.












Cliquez sur les images si vous les trouvez trop petites.


L’Homme, le bonhomme.

Premier épisode :
Le personnage dessiné, peint, gravé.
La représentation humaine bidimensionnelle.
Les bonshommes plats sur le support.





Il existe plusieurs manière de « convoquer » l’idée de « l’être humain » dans notre encéphale.
Plus simplement dit : comment penser à « l’Homme » en général ?
- « Il y a plusieurs manières.»
Campons le décor: vous êtes seul avec un interlocuteur, vous devez trouver un moyen de lui faire venir à l’esprit l’idée de l’homme ou de la femme (de l’être humain en général.)

1- Vous lui dites; « Pense à l’Homme… L’homme en général ! »
Ne lui dites pas ; « … En général ! » il penserait qu’il est général des armées.
L’interlocuteur comprend le sens du mot « l’HOMME* » énoncé par votre voix.
* Le Français n’a malheureusement pas un mot pour désigner l’ensemble « être humain », il faut prendre « Homme » pour, homme et femme. Bref, faisons avec.
2- On peut aussi écrire silencieusement sur un papier le mot « homme » et donner le mot « à voir » à l’interlocuteur qui comprendra le mot s’il sait lire votre langue.

3- On peut lui donner la photographie d’un homme, votre interlocuteur saura encore plus précisément de qui il ne s’agit pas ; « C’est un homme âgé que je ne connais pas, etc. » Attention ! votre partenaire peut devenir intarissable tant il a d’informations sur l’inconnu; il pourrait le décrire avec précision sans le connaître puisqu’il le voit!

4- Autre possibilité : désignez avec le doigt un homme qui se trouve à proximité de vous. Cet homme n’est pas une image ! Votre partenaire comprendra-t-il le concept que vous voulez qu’il sauvegarde ; « c’est un homme »? Ce n’est pas certain.

5- proposez « un gugusse » dessiné au crayon avec seulement deux boules de tailles différentes et quatre bâtons planté dans la grosse boule inférieure. Le partenaire railleur jugera que le dessin est bien piètre, mais que le sujet est bien « l’être humain. »
Il faut bien reconnaître que ce personnage est bas de gamme ! Il n’est même pas le stéréotype d’un personnage. Ce dessin renseignerait presque plus votre partenaire sur votre incurie graphique qu’il ne lui servira à se représenter mentalement l’idée de « l’être humain!»

6- Proposez maintenant le dessin de « l’homme » réalisé par Leonardo lui-même, c’est un cadeau qu’il vous a fait! Vous le présentez à votre partenaire. Au delà de l’admiration de votre locuteur qui loue langue pendante le réalisme du dessin; il comprend qu’il s’agit d’un homme, bras et jambes écartés, inscrit dans un cercle.



Chacun des six exemples avait la même intention; présenter « un homme ! »
À chaque fois, son, mot, images, devrait consigner dans notre ciboulot l’idée de l’Homme qui vous ressemble.
À chaque fois, c’est le même Homme qui est convoqué in petto, avec plus ou moins de précision.
Le mot « Homme » ne donne pas de précision anatomique.
La photographie d’un homme ne peut pas ne pas donner de précision anatomique.



Voici une septième situation.

7- Vous présentez à votre locuteur un dessin aussi schématique que celui du gugusse aux quatre bâtons, mais il provient de Paul Klee ; il est tracé d’un seul trait, le tracé est surprenant, il est épuré, mais le résultat visible, sans hésitation, cette ligne entrecoupée nous entraîne à y voir un homme.
À ce moment, on dit ; « Stop chef-d’œuvre si l’on est pas trop dérouté par l’invention graphique de Klee si loin du stéréotype*! »

*Regarder le dessin stéréotypé d’un homme, sur la porte des toilettes par exemple, c’est être proche de l’écrit, c’est une convention, c’est presque une icône, c’est à la limite de l’écrit et de l’image, ça doit être compris de tout le Monde et vite ; pipi/caca femme, pipi/caca homme, pipi/caca handicapé.

Un personnage de Paul Klee est lu ou compris plus ou moins rapidement, mais pas assez promptement pour une porte des toilettes…

Un personnage de Klee, n’est pas une icône au sens ou nous l’attendons quand nous voyons un ouvrier sur un panneau routier triangulaire.
Passer devant une reproduction épinglée au mur d’un bonhomme de Paul Klee ne nous entraîne pas à nous diriger vers tel ou tel endroit. Cette reproduction, même de qualité médiocre peut nous transporter à regarder ce personnage surprenant. Ce personnage nous saisit parce qu’il n’est pas reconnu immédiatement par notre cerveau qui ne le possède pas en stock. Les lignes de ce dessin finiront par se démêler dans notre cerveau comme étant un bonhomme comme celui des toilettes, celui fait de bâtons, celui de la photo mais il sera tellement plus jubilatoire !



Lorsque que l’on est devant un dessin de Klee, il peut se dévoiler comme aussi intéressant que celui de Léonardo.
Ces deux types de dessins sont fascinants, mais les deux artistes ne jouent pas dans la même cours: cinq tonnes de sable séparent leur œuvres !
La coexistence de ces deux hommes aurait été possible, mais un seul à la fois aurait été apprécié par la société.
Inversons leur ordre d’arrivée !



Nous sommes en 1920 : Vinci serait-il le complice de Klee pour son point de vue différent sur la représentation humaine ? Il y a beaucoup de dessinateurs dans la lignée de Vinci au début du 20ème siècle ! Klee sans détester ces dessinateurs ne s’y intéresse plus, ce sont des ringards, ils peignent ce que les photographes décliquent, on appelle ces artistes, les Peintres Pompiers et s’est vraiment péjoratif.
En revanche, Klee s’intéresse de très près aux civilisations d’Afrique.
Par elles il apprend beaucoup. La simplification astucieuse, surprenante et habile de leur manière de représenter les visages et les corps le stupéfie. Il s’en inspire très largement comme tous les autres artistes de cette époque. Ce sont ceux qui habitent sur vos livres d’histoire de l’art d’aujourd’hui.
Les intellectuels qui n’ont pas regardé les autres civilisations en ce début du 20ème siècle ont disparu de la circulation. Ces peintres Pompiers avaient pourtant à cette époque, en 1920, toutes les commandes officielles des différents gouvernement européens.

Nous sommes maintenant en 1500 : Klee est de passage à Florence chez Vinci avec ses drôles de bonshommes sur son carnet. Ses dessins ne respectent rien de l’anatomie. Les bonshommes de Klee font bien rire Vinci dans sa barbe ; il éclate de rire. Vinci se fout de sa gueule ouvertement. Leonardo, considère que Paul n’est pas mature, qu’il est encore à l’école maternelle et qu’il n’a aucune chance dans le métier vu son âge...
Quoique ! (comme dirait Devos)



Quoique ! Leonardo aurait été capable de confesser, sans pouvoir le formuler, que les personnages de Klee étaient ingénieux, voire habiles.., bien qu’ils ne suivent pas les codes de la représentation en perspective en rigueur ; raccourcis et volumes. Leonardo conviendrait que les bonshommes simples de Paul n’ont rien des stéréotypes des dessins d’enfants. Les dessins d’enfants sont stéréotypés et cela est dû à l’apport des parents et des enseignants mal formés qu’ils rencontrent.
Les deux hommes camperaient sur leur position.
Quand on sait que Hitler et une bonne partie de la bourgeoisie allemande reléguait les dessins de Klee dans la catégorie de l’art dégénérée, on peut comprendre que Vinci cinq siècles avant eusse pu avoir des difficultés à admettre l’art de Klee. Paul Klee qui reculait jusqu’aux Civilisations dites primitives et antiques aussi anciennes que l’art antique égyptien. Pour un homme de la renaissance tout commençait à la Grèce Classique ; antérieurement c’est l’Antiquité dans le sens « pas-encore-fait-par-un-homme-intelligent »
Ces deux types de représentation très éloignée l’une de l’autre ont droit de coexister au 21ème siècle, cela n’était pas possible au 15ème siècle.
L’eurocentrisme de la Renaissance ignorait presque complètement les systèmes d’art des autres civilisations.

Je postule que vous êtes ni Leonard ni Paul Klee ; les deux vous épatent, mais vous n’êtes pas un as en dessin anatomique mais la simplicité du trait de Paul Klee vous humilie.
Il y a trois manières d’améliorer votre piètre dessin du gugusse rondouillard à deux boules. (Décris oralement de cette manière, vous embellissez le bonhomme ! Non,ne l’embellissez, sa représentation picturale est nulle, aucune accroche sentimentale n’est possible !)

Aa- Pour améliorer ce bonhomme, vous travaillez d’arrache pied l’anatomie, le réalisme, le mouvement, les raccourcis des membres dans l’espace. Vous travaillez sous la houlette d’un maître et vous finirez dans quelques années par vous rapprocher de Michel-Ange, de Delacroix.
Bé- Pour améliorer ce bonhomme, vous êtes muni d’un appareil photo numérique ou d’un Ipod vidéo sur le disque dur duquel vous avez une bonne banque d’images d’hommes photographiées et bien répertoriées. Avec cet appareil vous n’avez plus besoin du dessin.
(Vous gagnez deux ou trois années d’étude du dessin d’anatomie classique dispensé par les académies municipales qui se font rares, faute de bons professeurs qui vont devenir aussi unique que les maréchaux ferrants, puisqu’il n’y a que des bagnoles pneutés et peu de débouchés à savoir croquer votre prochain sur un carnet de croquis qui séduit moins qu’une image sur un Ipod vidéo à 60 gigas.)

Cé- Bien aussi fun que l’appareil numérique, cette troisième manière de représenter l’homme devrait séduire, c’est mon souhait, on est au coeur de mon propos.



Voici résumé votre portrait:
« - Vous ne savez pas dessiner d’après nature, vous n’avez jamais appris à dessiner le corps humain dans les écoles d’art, vous êtes même bien content de ne pas y avoir mis les pieds. Vous n’avez pas le don d’observer un ami et de le retranscrire comme un photocopieur sur votre carnet à dessin à spirale, vous avez remisé ce carnet acheté fort chère, vous êtes dégoûté, ce que je propose ci-dessous est pour vous ! »

Je vous propose de faire un tour caricatural dans l’histoire de l’art des Civilisations et du Monde, un voyage dans le Temps et dans l’Espace.
(J’exclus les cinq siècles qui suivent la Renaissance en Europe, de 1400à 1900.)
…Ensuite, vous reprendrez votre carnet de croquis. je pense que vous comprendrez mieux la représentation de l’homme. Vous le dessinerez avec plus de liberté, de décontraction et d’exubérance.»

p’ti a - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes du 20ème qui déroutent, qu’ils proviennent de Klee, de Brauner, de Dubuffet, de Basquiat, de Picasso, de De Kooning.
P’ti b - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes d’ailleurs ; d’Océanie, d’Afrique, d’Amérique.
P’ti c - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes sortie du temps ; Sumer, Babylone, Tassili.



L’évolution du réalisme.

À ses débuts, l’homme dessiné ou peint est immobile, debout de face ou de profil.
Toutes les civilisations antiques ont représenté l’homme sur leurs murs ; c’est l’homme dit « à l’Égyptienne ». L’homme égyptien est plaqué, presque collé sur le papyrus ou sur la paroi. Il est de profil, bien déployé comme une carte routière, ses pieds sont vus de côté comme sa tête, ces deux mains sont bien montrées, le buste et le bassin sont de face, le seul œil est dessiné de face. Ce qui compte pour le spectateur comme pour l’artiste c’est l’inventaire des éléments du corps, tout doit y être, bras avant-bras, main, c’est bien plus que la réalité objective.

Il faudra attendre le dessin sur les céramiques grecques, 450 av J.C pour voir dessiner des hommes entrelacés qui luttent donc cachés en partie, mais ce sont vraiment avec les maîtres de la Haute Renaissance que l’homme dessiné se déhanche, se recroqueville, s’élance, se vrille.
Ensuite arrive Picasso, Klee et d’autres.


Je suis au cœur du sujet, c’est à ces « bonshommes », souvent simples, toujours créatifs, surprenants, quelques fois déroutants que nous devons nous intéresser.

Ils ont été dessinés par des artistes connus du 20ème et des artistes inconnus des autres continents et des autres civilisations. Ces types de dessins sont les plus nombreux.

Somme toute, avec le recul, on peut se demander si ce ne sont pas les cinq siècles qui suivent la Renaissance avec son système de représentation rigide qui ne serait qu’une pichenette dans l’histoire de l’humanité des bonshommes représentés sur une surface plane ?



L’analyse d’un dessin illustrerait bien ces longs propos sans image!
Un homme de Paul Klee ?






Retournez* dans tous les sens ce personnage et vous serez moins certain d’y voir un personnage !
*Vous ne pourriez pas faire cela au musée !



De côté vous découvrirez un autre personnage. Tournez encore votre photocopie, mais ne cherchez plus un personnage. Essayez plutôt d’oublier celui que vous venez de voir. Néanmoins, je me suis amusé à chercher d’autres personnages; j’ai déjà trouvé sept personnages différents.


Reprenons le premier. Vous pouvez le voir assis à l’Égyptienne le pied et la main bloqué sur le côté droit. Il s’est retourné sur son siège. Le pupitre d’école (ou le pupitre du scribe) est en coupe sur la gauche. Que cet homme soit assis est facilement perceptible grâce au pictogramme à angle droit qui rappelle une chaise vue de profil.
Pourtant, franchement, au premier abord ce réseau de lignes plus ou moins ombrées n’a rien d’un bonhomme anatomique juste. Toutefois, en se repérant sur la double petite branche de la partie supérieure déchiffrée par tout le monde comme étant les yeux et le nez, le reste du corps va dépendre de cela. Mais la lecture du contour peut être différente d’un déchiffreur à l’autre ; si l’œil lambda suit tant bien que mal une épaule sur la droite, ce même œil a bien des difficultés à trouver la main. Repérer les doigts est impossible ! On peut accepter cette ouverture vers le haut sans doigts. L’autre bras est plus difficile à suivre.
Etc.



Comment ce labyrinthe de lignes grises qui se rencontrent, se jouxtent, se coupent ou s’arrêtent sans crier gare forme cette scène d’écriture ? Un homme, un pupitre, une chaise et peut-être une grande feuille de papier que cet homme tiendrait entre ses mains ?
Comment ce dessin fait d’angles droits, de légères courbes et de triangles ouverts est assimilé par notre cerveau comme étant un personnage ? Le cerveau reconnaît plus ou moins les différentes parties d’un corps tel qu’il l’a appris progressivement ; pour les bras, les jambes, Ok ! Pour l’abdomen et le torse c’est plus indéterminé. Ce sont sans doute les deux yeux (plutôt des paupières) qui induisent le plus la lecture.
Paul Klee sait qu’il est à la limite de la représentation, il sait qu’il trompe, mais il sait nous faire voir ce qu’il veut que l’on voit. Il travaille sur la limite de notre cerveau à ne plus percevoir un personnage lorsqu’il change légèrement quelques lignes.



Pictogrammes pour tous.
Les deux dessins de l’homme et de la femme que l’on trouve sur la porte des WC ne nous renseignent pas beaucoup sur l’anatomie des deux êtres humains. Aujourd’hui la plupart des femmes sont en pantalon, or c’est une jupe triangulaire qui donne le sexe sur le pictogramme. Ces autocollants en légers reliefs sont collés à hauteur d’œil sur les portes ; par convention, vous poussez celle de gauche ou celle de droite.
Il est question d’un langage à voir et à comprendre, que l’on accepte comme un code universel. Ces simples pochoirs noirs nous renseigne mieux que des images photographiques.
Ces pictogrammes se situent entre le mot et l’image, c’est précisément le sujet de cette réflexion sur l’homme dessiné.



Dans l’espace, on envoyé les dessins des deux êtres en question, ils sont nus ; ils sont reconnaissables par un terrien qui connaît l’anatomie. Il n’est pas certain que cela fonctionne pour un extra-terrestre, c’est pourtant bien pour eux que ce dessin est envoyé dans la sonde spatiale. Ce dessin figure au générique de l’émission de Ardisson «Salut les terriens!»





Aux jeux Olympiques de Mexico, un graphiste a mis au point tout un système de personnages faits de bâtons arrondis très créatifs ; la direction et la taille du large bâton noir changent. Les athlètes du monde entier qui ni lisent ni ne parlent la même langue, grâce à ce système, savent où se rendre : à la piscine, au saut en hauteur, à l’escrime, etc.
Cette manifestation olympique, véritable tour de Babel, est le lieu idéal pour tester ce type de langage pictographique presque abandonné depuis le 1ème millénaire de l’ère d’avant J.C.

Autant l’homme sportif apparaît partout à mexico autant l’homme et la femme préhistorique n’apparaissent pratiquement pas dans l’art pariétal.
Le haut niveau de représentation auquel sont arrivés les peintres de Lascaux 12 000 ans av J.C est époustouflant ; certaines vaches sont en mouvement ! On peut parler de profondeur entre deux pattes avant.
Pourtant, les peintres de la préhistoire ne dessinent pas d’hommes, encore moins l’homme en mouvement. Pourquoi ?
Ont-ils eu peur de la force émotionnelle des dessins d’homme et de femme sur leurs parois ?
L’image a un pouvoir qui a été craint.



Il y a quelques exceptions. À Lascaux, un homme schématique semble avoir les tripes à l’air éventré par le bison qui lui fait face, non, c’est le contraire. Il a lâché son lanceur de flèches à tête d’oiseau, cet homme est une des rare scènes avec un homme représenté, il semble être en érection ?
L’image préhistorique est d’origine chamanique, l’images est mystérieuse, magique trompeuse, elle prête à conséquence.
Les artistes pouvaient peindre les hommes aussi bien qu’ils peignaient les animaux, c’est incontestable. On a sans doute craint de représenter l’homme de peur de le voir prendre vie ou de le faire mourir ; on ne connaîtra sans doute jamais la véritable raison. L’animal dessiné sur la paroi signifiait vraisemblablement que le chasseur se l’appropriait en dessin par anticipation pour la chasse du lendemain.

Quand l’homme a commencé à se représenter dans l’Antiquité, il n’y a plus eu que pour lui sur les parois, l’animal est passé en arrière plan ; la chasse ne posait plus de problème, les armes s’étaient améliorées, on ne demandait plus à l’animal la permission de le tuer.

Le premier dessin d’un homme.
Quelle envie a bien pu pousser un homme a vouloir se représenter, se dessiner sur une feuille plate alors que tout lui indiquait qu’il n’était lui-même que volume, un volume de chair au gros ventre et au verso athlétique, un visage pile et des cheveux face ?
Ce n’est pas un homme qui a eu cette envie, c’est une jeune femme qui eu pour la première fois l’idée de représenter son amoureux.
Il se tenait debout devant l’âtre, il partait pour la guerre, elle eu l’envie de garder le contour de son ombre avec un charbon de bois et de s’étendre dessus pour penser à lui. C’est une légende grecque, elle est belle !



Picasso ne peut pas rester immobile face à son modèle.
Picasso au début du 20ème siècle se déplace autour de son modèle tout en le dessinant; il dessine ce qu’il voit et assemble les morceaux entre eux alors que les points de vue sont différents, ça fait une drôle de femme. Il démontre que l’on peut se défaire de ces habitudes photographiques. On peut désapprendre à voir le modèle en peindre borgne dont l’œil est à distance fixe. Picasso relie comme il peut tout ce qu’il voit lors de ses déplacements.
Le résultat est plus proche de la séquence filmique que de la représentation photographique.
Picasso a pourtant appris à dessiner dans une école d’art, il est un direct descendant des maîtres de la Renaissance; un seul point de vue, une seule action dans un temps arrêté. Picasso s’est défait de ses habitudes, il se met dans la marge.
Picasso est un Michel-Ange qui s’est rebellé. Michel-Ange aurait connu la photo argentique, qu’il se serait sans doute détourné de sa passion du dessin pour les raccourcis audacieux, les pauses baroques complexes, les hanches qui se tordent et la ligne des épaules qui renfoncent la torsion, mais il aurait gardé son pouvoir expressif.


Fin pour finir en queue de poisson: ecce homo, le mot homme, le dessin pictographique et la représentation hyperréaliste de l’homme ont le droit de cité, ils ont des raisons différentes d’exister ou de coexister.
Chacune de ces trois possibilités est utilisée pour des raisons différentes à des moments différents : musée, WC, identité, etc.